L’Entre. François Cheng

Entre
Le nuage et l’éclair
Rien
Sinon le trait
De l’oie sauvage
Sinon le passage
De l’ombre blessé
Au royaume
des échos

Entre
Nommer chaque chose à part
Est le commencement de tout
Mais dire ce qui surgit d’entre elles
Toujours neuf
Et imprévu
C’est
Chaque fois
Re-commencer le monde

Entre arbre et nuage
Que passe oiseau blessé ou vent ravi
Que l’éclat furtif s’inscrive
entre les yeux
entre les lèvres
A la vraie vie
Indéfiniment
Nous re-naissons

In Le livre du Vide médian, Albin Michel p. 37

 

Consens à la brisure
C’est là que germera
Ton trop-plein de crève-cœur
Que passera un jour
À ton insu                               la brise

Idem p. 169

 

Non corps à corps
Mais âme à âme

Alors souffle le juste Vide médian
Alors passe, in-attendu, l’ange

Idem p. 209

 

L’informulé et l’innacompli se mêlant
A l’inattendu et l’inespéré
Confluant ici, deviennent fontaine de l’instant
Qui désormais reprend tout, élève tout
Inépuisablement jaillissante

Idem p.211

Dévisager l’ultime
Retrouver sans faille
L’ouvert
Où se donne
La vie entière
En son inaltéré
Va-et-vient

Idem p 213

Ame soeur
Entends-tu ce qui
Vient de l’heure, ce qui
Vient du coeur, à l’heure
De l’abandon, à l’heure
Du crève-coeur,
Ce battement depuis
La naissance, déchirant
Les entrailles maternelles,
Déchirant l’écorce
Terrestre, ce battement
Qui cherche à se dire,
Qui cherche à se faire
Entendre, entends-tu
Ame soeur
Ce cri d’avant-vie, plein
D’une étrangère nostalgie,
De ce qui avait été
Rêvé, et comme à jamais
Vécu, matin de brume
D’un fleuve, nuage
Se découvrant feuillage,
Midi de feu d’un pré, pierre
Se dévoilant pivoine, toute
La terre embrasée, tout
Le ciel incandescent
En une seule promesse,
En une seule invite
Ne rate pas le divin
Ne rate pas le destin,
Entends-tu ce qui
Vient de la flamme
Du cœur, à l’heure
Du crève cœur, ce cri
Surgi un jour, à ton
Insu, en toi-même,
Le transparent, le transportant,
Le transfigurant, seul cri
Fidèle à l’âme en attente,
Ame sœur.

 

La beauté est une rencontre

idem p.33

 

Le Vrai toujours
Est ce qui naît
D’entre nous
Et qui sans nous
Ne serait pas

Né d’entre nous
Selon le souffle
Du pur échange
Le Vrai toujours
Est ce qui tremble
Entre frayeur et appel
Entre regard et silence

idem p.17

 

« (…) Nous constatons qu’à l’intérieur de chaque être, et de présence à présence s’établit un complexe réseau d’entrecroisement et de circulation. Au sein de ce réseau se situe justement, le désir que ressent chaque être de tendre vers la plénitude de sa présence au monde. Plus l’être est conscient, plus ce désir chez lui se complexifie: désir de soi, désir de l’autre, désir de transformation dans le sens d’une transfiguration, et d’une manière plus secrète ou plus mystique, un autre désir celui de rejoindre le Désir originel dont l’univers même semble procéder, dans la mesure où cet univers apparaît en son entier une présence pleine d’une splendeur manifeste ou cachée. Dans ce contexte, la transcendance de chacun dont nous venons de parler ne se révèle, ne saurait exister que dans une relation qui l’élève et la dépasse.

La vraie transcendance, paradoxalement, se situe dans l’entre, dans ce qui jaillit de plus haut quand a lieu le décisif échange entre les êtres et l’Être.  »

in Cinq méditations sur la beauté.